Pour faire écho à ce thread (films-series-f21/bullet-ballet-tokyo-fist-shin-tsukamoto-t4786.html) et pour donner à Tsukamoto les honneurs qu’il mérite, je me permet de ressortir un vieux post que j’avais consigné il y a quelques années dans un sombre blog… Tout en le rafraîchissant un peu et en l’agrémentant aussi. Enjoy or die Shinya Tsukamoto, artiste complet et auteur fou, gourou cyberpunk d'un mouvement cinématographique, réalisateur virtuose et acteur impeccable, être humain passionnant et fascinant, expert en métal et un de mes réalisateurs préférés. "
un brun d'anarchisme hystérique, un soupçon de sadomasochisme et de bonne vieille ultra violence, trois pincées d'obsessions morbides et un zeste d'érotisme romantique", Tsukamoto c’est tout ça à la fois dans l’esprit de David Martinez dans le HK Magazine. De "
l'acide filmique pur".
Le phénomène Tsukamoto déboule sur les écrans en 1988 avec un mythique
Tetsuo qui allait secouer les cervelles, mêmes les plus infectées, et donner des envies d’insertions de bouts de métal sous la peau à tous les spectateurs fantasmant sur une mutation biomécanique. Tetsuo, film unique, expérimental dans ses moindres recoins, maelström d’imagerie cyberpunk trash qui brouille les neurones pour mieux pilonner les yeux et les oreilles, univers thermodynamique où l’homme devient machine dans une hystérique souffrance. Un film éprouvant qui se regarde comme une expérience, un film qu’on ressent plus qu’on ne le comprend.
Hiruko The Gobelin, la deuxième exploration du réalisateur, est un film de commande, un petit film d’horreur pour otakus. Sympathique bien que pas inoubliable comparé au reste de la filmo du monsieur. Poésie nippone (ça se déroule dans un lycée avec des professeurs araignées) et horreur efficace, Hiruko permet à Tsukamoto de travailler avec un gros studio. Il le décrit comme une histoire policière pour enfants.
Retour aux choses sérieuses avec
Tetsuo II: Body Hammer, la version de luxe du premier opus, est un projet mis en forme pendant la réalisation d'Hiruko. Toujours expérimental, mais bien moins agressif, Tetsuo II distille plus en profondeur l’homme machine. La couleur fait son apparition et la métamorphose est plus clairement présentée d’un point de vue philosophique. Un film en fonte vertébrée qui explicite un unique moyen d’expression : le chaos, physique et mental. Un monument destroy.
Arrive
Tokyo Fist ou la souffrance physique comme seule solution pour retrouver la sensation de vie. L’histoire d’un salary man qui devient boxeur pour retrouver son humanité. Un film sombre et d’une violence rare où chaque protagoniste expérimente une douleur corporelle. Certains plans sont gore, inondés de sang, de salive, de peau boursouflée et d'ecchymoses qui déforment les visages. Un film où Tsukamoto expérimente encore et toujours avec une caméra constamment en convulsion et offre un final forcément des plus ensanglantés instrumenté par ce chef d’orchestre marteau-pilon. Pour l’anecdote, l’auteur du livre Fight Club, Chuck Palahniuk, se serait inspiré de ce Tokyo Fist pour raconter les aventures de Tyler Durden.
La souffrance amenant un renouveau, mère patrie de l’imaginaire de Tsukamoto :
Bullet Ballet est lui aussi imprégné par la sanction physique et mentale guidant la larve vers le papillon. Tokyo est à nouveau une cité urbaine noire et poisseuse où les êtres humains torturés survivent en attendant la mort. Obsessionnel et désespéré, le film de Tsukamoto n'en est pas moins bourré d'émotions. Le revolver est ici sacralisé, il devient une excroissance du corps, de la personnalité. Le fer dans la chair, la transmutation, des thèmes chers au réalisateur.
Gemini, une de ces plus brillantes réussites, est un film de commande que le cinéaste s’approprie pour faire évoluer ses obsessions. Tournant majeur dans sa carrière, Gemini est formellement impressionnant grâce à un esthétisme mêlant rétro des films fantastiques traditionnels nippons et renouveau des films d’épouvante japonais. La mutation est ici confronté à la dualité et encerclé par le sexe et la mort. Morbide, étrange et froid, Gemini n’en est pas moins éprouvant et émouvant. A la fois descente rapide aux enfers et élévation cauchemardesque vers les cieux, ce film reste le plus accessible pour le spectateur novice.
Avec
A Snake of June, que je désespère de voir débarquer en Z2, Tsukamoto revient dans le giron du film minimaliste en noir et... bleu. Un serpent de juin érotique, moite et sale, obscur et évidemment déviant qui mêle encore le sexe à la mort d’une bien belle façon, un brin hypnotique. La caméra se tranquillise pour apporter plus d’épaisseur aux thèmes de prédilections du cinéaste. Un film zen délicieusement impur où le corps humain (une nouvelle fois déformé) utilise la mécanique pour prendre du plaisir…
Shinya Tsukamoto offre à l’une des ses obsessions principales, à savoir la mort, le thème de son film suivant :
Vital (lui aussi toujours inédit chez nous), complainte amoureuse nécrophile au visuel moins maladif qu’à l’accoutumé et à la mise en scène beaucoup plus détendue, évolution logique de Snake Of June. Depuis ce dernier film, Tsukamoto semble avoir décidé de laisser au placard la violence graphique pour quelque chose de plus abstrait, peut-être plus Lynchéen. Il est toujours question de sonder la douleur du corps et de l’âme mais cette fois dans une ambiance pâle et macabre qui flirte avec l’amour le plus pur. Mélodrame insolite, romance coup de poing, Vital est beau et poignant. Poignant comme du Tsukamoto.
Nightmare Detective enfin (!). Mélange des Griffes de la Nuit avec des morceaux de Lynch et de Cronenberg dedans. La mort revient se déployer de sa superbe après Vital dans un cauchemar éveillé qui lie et délie le réel et l’intériorité refoulée dans des scènes de suicides forcées (!!) saisissantes (alors que le film débute comme un film d’horreur nippon inoffensif à la RING). Le final, où l’horreur frôle l’hystérie, est un sacré moment de flippe.
Bref, Tsukamoto est un génie. Inutile de chercher à mesurer mes propos, après un tel pavé que vous n’avez sûrement pas lu. Vous aurez comprit que j’aime cet artiste. Que j’adore cet artiste. S’appropriant tout une culture underground asiatique et occidentale en se distrayant avec tel un forgeron-charcutier et s'arrosant du talent de Lynch et Cronenberg comme cité plus haut mais également d’un cinéaste comme Sam Raimi, Shinya Tsukamoto a inventé un style qui lui est propre et est devenu une référence pour des dizaines de réalisateurs modernes (Tsui Hark, Jan Kounen -Vibroboy est sorti de la cuisse de Tetsuo !- Miike ou encore Tarantino qui voulait travailler avec lui à l’écriture d’un troisième épisode de Tetsuo, le fantasmatique
Flying Tetsuo…) et si ce n’est pas encore fait, vous vous devez de vous enfoncer un morceau de ferraille dans la cuisse.
PS. Entre Vital et Nightmare Detective se trouve un moyen métrage nommé
Haze, visiblement un condensé des hantises de l’artiste… Que je n’ai hélas toujours pas vu. I’ll be back.