Messagepar helel ben sahar » 21 Déc 2005, 11:48
Bay est un auteur. Certes, il n’est pas le réalisateur type que l’on associerait avec le terme « auteur », mais il possède tout de même certaines caractéristiques. Bay est un réalisateur qui ne souci réellement ni de son scénario, ni de ses personnages. Il se concentre, et se consacre uniquement sur l’esthétique, la réalisation et le montage. Seules ces considérations rentrent en compte, il ne conçoit un film que sur ces critères, et c’est bien dans ce sens qu’il faut aborder ses métrages. Evidemment, ses choix sont discutables, et surtout, il ne faut pas s’empresser d’émettre une farouche volonté de voir en ces tics une sophistication narrative, puisque concrètement, celle-ci n’existe pas.
Bay est un auteur de non-cinéma. Ses films sont des objets en marge de toute conception cinéphile. Il ne possède aucune logique narrative basée sur la réalisation, ses scénarios ne sont que des prétextes à un déluge d’action totalement décomplexé et son montage est souvent réalisé en dépit du bon sens. Alors pourquoi tous ces éléments assemblés sont-ils capables de produire de la qualité alors que chez d’autres, ils s’accompagnent vers le désastre ? Comment Bay parvient-il à produire du bon avec une quantité impressionnante de défauts majeurs ? Je serai bien incapable de répondre pertinemment à cette question, finalement, la réponse se trouve dans ses films, ou tout du moins deux ou trois dans sa filmographies, deux ou trois films où son style représente un tout cohérent.
The Island est très certainement le film dont le scénario est le plus approfondi. En effet, pour une fois, l’histoire revêt un réel contexte, et s’achemine vers la volonté de produire plus ou moins un message. Bien qu’il aménage toujours la construction de son film pour laisser libre court à ses fantasmes de démolisseur, il s’accorde volontiers des plages contemplatives, de dialogues afin d’épaissir quelque peu les enjeux de ces scènes d’actions. Cependant, l’histoire ne s’embarrasse pas non plus d’une réelle création, et préfère emprunter divers éléments piochés dans quelques films de sf, et d’y accoler des considérations plus contemporaines, en l’occurrence, le clonage.
Les premières images s’empressent d’inclure la donnée principale à attendre de la vision que l’on donne aux clones. Bay utilise tous les archétypes visuels, les langages esthétiques de la pub comme référent à un monde factice, aseptisé, tel qu’il doit être vu par les clones. Il sublime volontairement, voire de façon grotesque, Scarlett Johanson, et met en situation plus ou moins similaire Mc Greggor. Les quelques placements de produits tiennent davantage du merchansdising doucereux, que d’une quelconque volonté d’appuyer le propos consumériste d’une société. Au contraire, en uniformisant ainsi la vision et l’esthétique, il présente un environnement conformiste et rassurant. Chose que les despotes en charge de la place, tienne à sauvegarder afin de mieux contrôler leurs sujets. On peut effectivement y voir une dénonciation naïve d’une société fascisante, mais le cinéma de Bay ne repose, pour beaucoup, que sur une unique vision naïve. Cette naïveté se retrouve d’ailleurs dans différentes situations dans le film et semble ainsi en accord avec la mentalité des ses deux personnages principaux.
La mise en place de l’histoire, du contexte, des personnages et des enjeux sont effectués dans un laps de temps étonnement long, quand on jette un œil au reste de sa filmographie. Bay avait une certaine tendance à en mettre plein la vue rapidement, histoire d’assommer le spectateur et le faire rapidement entrer dans l’histoire. Au contraire, The Island se permet une entrée en situation plus posée, afin d’être plus libre par la suite et ainsi ne pas s’encombrer d’éléments perturbateurs à l’action.
La pièce maîtresse dans les films de Bay, reste toutefois les scènes d’actions, l’existence de son cinéma ne résulte que pour ces situations. Le monsieur avait placé la barre très haute avec Bad Boys 2, comment peut-il surenchérir après un tel déluge, une telle folie ? Il n’y parvient pas réellement, mais reste fidèle à lui-même et sa réputation. L’action se lance dans le registre des films de fugitifs. La fuite en avant des deux héros du centre est impressionnante, elle parvient par un montage et des cadrages hasardeux à rendre palpables l’hésitation et la folie qui règne dans la scène. Ses mouvements de caméra maladroits, exagérés, grossiers, son montage cafouilleux confirment l’absence de cohérence dans sa réalisation, mais parvient toutefois au résultat escompté.
Ensuite Bay est encore plus fidèle à lui-même. Il est capable de réaliser des scènes de poursuite automobiles dantesques. Sa réalisation vire toujours au grand n’importe quoi, une sorte de plonger en apnée au cœur de l’action afin de provoquer des réactions viscérales et douloureuses. Il se sert de différents effets pour nous éprouver la scène, que l’on ressente physiquement l’adrénaline qui gonfle les personnages et la situation. Sans demi mesure, on en ressort lessivé et heureux d’avoir subi pareille déflagration visuelle et sonore. Finalement, on ne voit pas un film de Bay, on le ressent. Il apporte une grâce à l’épilepsie visuelle qui se déroule sous nos yeux, un plaisir éphémère qui ne durera que le temps de l’action, et que l’on aura pour mémoire que la persistance rétinienne qui encombre notre regard. Le souvenir d’un film de Bay ne situe finalement pas dans notre mémoire, puisqu’il n’y a rien à retenir, mais dans la douleur ressenti par notre corps après sa vision.
Bay est un peu à l’image des clones dans son film. Un esprit de quinze ans dans un corps d’adulte. Sa conception des films est atteinte du syndrome de Peter pan. C’est réellement flagrant dans The Island, tout le film est baigné par une vision naïve des choses. La romance est réalisée avec l’idéalisation enfantine d’un adolescent, conformément au ton de nos deux héros. La libération des clones, la découverte du monde, la prise de conscience de l’agent, tout est réalisé par le prisme de la naïveté. Autant d’innocence dans un film d’action burné aurait pu virer au drame, mais ici, dans ce contexte, bien au contraire le tout sonne cohérent. Bay avait échoué dans sa capacité à allier le buddy movie à l’action débridé dans BB 2 – les scènes de comédie plombaient totalement le film – ici, la naïveté s’inscrit naturellement dans le récit puisqu’elle est finalement une dominante éprouvée par les personnages. Evidemment, cette notion est laissée de côté pour l’action qui ne s’encombre d’aucune considération sinon la destruction la plus massive (et Bay s’en donne à cœur joie dans l’exercice).
The Island plaira vraisemblablement à toutes les personnes acquis à sa cause, parviendra peut-être même à enrôler de nouveaux venus grâce à un scénario plus développé, mais continuera toujours d’exaspérer les opposants à cause de sa façon illisible de réaliser ses scène d’actions, à cause de la futilité de son exercice, de la durée éphémère du film à perdurer dans les mémoires, toutes ses raisons qui donnent autant à détester qu’à aduler les films du monsieur…