Je conçois parfaitement qu’on puisse aimer le dernier film de Shyamalan. Par certains côtés, paradoxalement plus sa veine comique que sa veine fantastique, “La Jeune fille de l’eau” est plutôt une réussite... à caution !.
Faut-il pour autant, pour justifier l’amour que l’on porte au film, lui accorder une telle importance dans l’évolution actuelle de la fiction hollywoodienne. Faire de Shyamalan le seul cinéaste capable aujourd’hui de questionner la crise que traverserait la fiction américaine me semble très réducteur, pour ne pas dire spécieux. Je ne vois vraiment pas ce qui permet de dire que son œuvre se trouve plus qu’une autre à la croisée exacte entre fiction et narration. “Conjurer la crise du récit pour mener à bien la fiction” c’est, il me semble, la finalité de tout film un tant soit peu ambitieux. Il n’est que de citer ceux de Lynch ou de De Palma, lesquels d’ailleurs s’aventurent sur des terrains autrement plus risqués en matière de fiction que Shyamalan. Mais peu importe, l’essentiel n’est pas là. Qu’il y ait crise du récit, soit. Qu’elle se manifeste par le recours (mais ce n’est pas une nécessité) à ce que vous appelez le “méta”, admettons aussi, si l’on considère le méta moins comme une déconstruction du récit (déjà à l’œuvre dans les années 70, c’est dire si ce n’est pas nouveau) que comme un récit sur le récit, un récit sur la façon de raconter des histoires. Evidemment, formulé comme ça, la tentation est grande de faire de Shyamalan l’auteur emblématique de ce grand questionnement sur la crise du récit, ce qui reste quand même à prouver. Quant à dire que son dernier film “s’invente une histoire et dans le même temps prend acte de sa crise”, c’est par avance couper court à toutes les critiques qu’on pourrait lui faire. En gros, quand ça fonctionne, c’est la fiction qui est à l’œuvre, et quand ça ne fonctionne pas, c’est la crise de la fiction qu’il faut y voir. Un peu trop facile.
C’est vrai que le film reproduit dans sa construction, le caractère improvisé du conte que racontait Shyamalan à ses enfants, y ajoutant régulièrement de nouveaux éléments pour prolonger leur plaisir (et le sien, j’imagine), multipliant les rebondissements pour relancer la machine, matériau proche par sa structure de la série télé. En cela, la transposition dans un immeuble est plutôt bien venue qui permet d’ouvrir suffisamment de portes, comme autant de possibilités narratives, sans qu’on ait forcément besoin de toutes les exploiter. De là aussi toute une palette de personnages, la chinoise du dessus, l’(hémi)culturiste du dessous, le cruciverbiste d’à côté, etc., tous solidaires pour faire avancer le récit jusqu’à leur rassemblement final au bord de la piscine, dans une séquence qui n’est pas sans évoquer la “Party” de Blake Edwards, où rien ne marche comme prévu, jusqu’au “scrunt” pareil à l’éléphant. Même le personnage de Farber (clin d’œil possible à Manny Farber, et à travers lui à l’intellectuel, encore que pour Farber le rôle du critique n’était pas tant d’expliquer les films que d’en prolonger le mystère), semble par sa fonction de corps étranger (pour les autres il n’est que le 13B) un cousin lointain du personnage de Peter Sellers – d’ailleurs ses interprétations erronées ne sont pas loin de précipiter le film à la catastrophe. Il y a là une vraie dimension comique, celle de la comédie sociale, qui est la part réussie du film. Mais c’est aussi par son côté régressif que le film fonctionne, à l’image du personnage principal acceptant de “faire le bébé” pour qu’on lui raconte la suite de l’histoire. Sauf que cette histoire, celle qui s’écrit à mesure que le film avance, est une telle ineptie qu’elle désamorce en permanence le caractère jouissif que revêt l’entreprise par ailleurs. Il ne s’agit pas de simples scories qu’il suffirait de balayer d’un revers de main, mais d’un vrai problème – renforcé par la présence de Shyamalan, jouant lui-même (et très mal) le rôle d’un écrivain dont le livre est appelé à changer le monde ! – problème que le film n’arrive jamais à résoudre et qui tient peut-être au fait, c’est une hypothèse, que le comique surtout quand il est régressif est totalement réfractaire à l’univers lénifiant du conte, autrement dit qu’il y a là deux formes de croyance qui ne sont pas du tout compatibles. C’est ce qui rend le film si dérangeant, toujours en porte-à-faux, et au final plutôt raté (même si, pour ma part, il pourrait se bonifier avec le temps).
Quant à la question postmoderne par excellence : “que faire de la fiction lorsqu’on sait ?”, c’est un faux problème.
Dans les grands films, on fait toujours comme si on ne savait pas, quelle que soit la fiction. C’est de là que naît le plaisir …
O&O