Ghost dog de Jim Jarmusch
Jarmusch filme son personnage principal comme ses pigeons Electrons libres dévoués corps et âme à son maître, Ghost dog pour les pigeons, et Louie pour Ghost dog. Ils évoluent dans l’immensité du monde, du cadre, sans jamais se perdre, ni leur point de vue, ni leurs objectifs. Leur liberté de mouvements est sans mesure, mais toujours confiné dans le sens de la dévotion. Le portrait est magnifique, précis, possédant une forme de candeur imparable. Ghost dog est un être impassible qui a fait de la voie du samouraï sa doctrine de conduite.
Samouraï des temps modernes, qui a su assimiler les codes en les adaptant à notre monde, notre quotidien, l’univers mafieux. Tueur à gage dévoué corps et âme à son maître, il exécute ses volontés, chaque mission est une étape de plus dans l’acheminement de sa pensée, sa philosophie. Chaque acte, geste ou situation trouve son propre écho et justification dans la voie du samouraï. Il devient ce bloc monolithique, impassible et serein empli de sagesse, mais que l’on ne peut toutefois parfaitement comprendre. Jarmusch filme au rythme de son personnage, en prenant son temps, en imposant un rythme calme, serein. Vaguement contemplatif, tout en étant particulièrement précis, il suit également le tempo de la musique. Ghost dog trouve un exutoire dans le hip-hop, courant musical patchwork qui assimile plusieurs styles, et les assemble autour d’une boucle, d’un rythme. Elle justifie la démarche du personnage, et impose la cadence du métrage.
Le réalisateur esquisse le portrait de son personnage avec soin, s’attachant au détail, à ces gestes insignifiants mais qui construisent sa psychologie, à ces moments de calme qui l’accompagne, à son entourage restreint, à ses situations de routine. On le voit confectionner ses armes, nourrir ses pigeons, méditer, une illustration banale d’un personnage hors norme, qui ne répond à aucune de nos attentes, dont on semble incapable de comprendre toutes ses motivations. Le film est construit sous forme de tableau, chacun illustrant une philosophie de la voie du samouraï. Le spectateur se retrouve alors piégé dans cette construction, et dans l’histoire qui défile inlassablement. Le rythme volontairement lent s’impose naturellement, même quand l’action opère, le cinéaste conserve la grâce du personnage.
Ghost dog est un film de personnages, d’abnégation, de dévotion. Un métrage dont l’action est réduit à sa plus simple expression. La galerie de protagonistes est vague, figures mafieuses diverses, iconoclastes, presque caricatural. L’organisme apparaît comme une mauvaise blague, incapable de se satisfaire de ses propres décisions, remettant en cause ses propres actes. Impressionnant de ridicule, qui rend les différents mafieux tout aussi pathétique que monstrueux. Jarmusch dépeint des gens qui ne semblent pas habiter le monde qu’ils occupent. A l’image de Raymond, le vendeur de glace haïtien, s’exprimant dans une langue que personne ne comprend, et ne comprenant pas lui-même l’anglais. La relation qu’il entretient avec Ghost dog est magnifique de poésie subite. Métaphore de la communication, les deux hommes expriment la même chose et pourtant ne se comprennent pas. Le rapport se passe de mots, seul les intentions, l’attention compte. A l’inverse des mafieux qui usent et abusent de dialogue, sans jamais parvenir à se saisir.
Dégageant une sérénité impressionnante, plongeant le spectateur dans un doucereux spleen, le métrage de Jarmusch est une réussite à tout point de vue. Parfaitement maîtrisé, habité par des acteurs acquis à sa cause, le film possède une force d’évocation. Film initiateur d’une philosophie, d’un mode de vie et de conduite, il n’oublie pas d’interroger sur la pertinence de la dévotion quand celle-ci se délivre de toutes formes de raison. Mais chaque naissance entraîne une mort, pour que le flambeau puisse passer, et l’élève de devenir Maître le temps d’un souffle. A nous de méditer à présent…