sopor, sur HCFR, a écrit :Le moins que l'on puisse dire à la vision de INLAND EMPIRE c'est que la fracture entre les pro-lynch et les anti-lynch va se creuser encore davantage. Car Lost Highway et Mulholland Drive n'étaient que des amuse-gueules en comparaison du trip que s'est offert Lynch avec ce nouveau long-métrage. A l'entrée du cinéma, on aimerait y voir écrit les mots de Dante : "Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance" ou être accueilli par le break on through des Doors.
De quoi parle INLAND EMPIRE ? Pour faire vite et simple : une actrice (jouée par Laura Dern) obtient le premier rôle dans un film qui est en fait un remake d'un autre film qui n'a jamais été achevé et dont les deux comédiens principaux ont été assassinés. A partir de là, ça s'agite dans le lynchland : en vrac, des types parlant polonais cherche un "accès", une sitcom avec des personnages à tête de lapin se joue devant nos yeux, une inquiétante voisine fait des prédictions non moins inquiétantes, un choeur antique de prostituées donne dans la comédie musicale, des portes s'ouvrent, se ferment, des lumières s'allument et s'éteignent, des couloirs n'en finissent pas. Et au milieu de tout ça, la psyché d'une actrice à cerveau ouvert.
Là où Lynch fait fort, complètement libéré par la DV, c'est qu'il ne se contente plus de doubler les figures comme dans Lost Highway ou Mulholland Drive, il les multiplie à l'infini comme autant de reflets dans un miroir. Quand Mulholland Drive se retournait et revenait facilement à l'endroit, INLAND EMPIRE se démultiplie pour filer dans toutes les directions ; Lynch avance, ne regarde pas derrière lui, ni ne revient sur ses pas. Car la grande force de INLAND EMPIRE, c'est d'abolir toute idée de lieu : on ne sait jamais vraiment où se situe l'action, ni géographiquement ni psychologiquement (même si l'opposition intérieur/extérieur reste toujours aussi présente chez Lynch). Le film ressemble à une succession de tableaux labyrinthiques, beaux, bizarres et grotesques (c'est de loin le film le plus "drôle" de Lynch) sans lien apparent entre eux. Chaque scène constitue un déclic comme une série de lampes qui s'allumeraient les unes à la suite des autres, dans un ordre précis et exclusif. Lynch dope son film aux signes : ampoules, lampes, miroirs, écrans, brûlures de cigarette, portes et embrasures, fenêtres et rideaux ; une maison de poupée minuscule à l'extérieur et gigantesque, torve, alambiquée et cauchemardesque à l'intérieur.
INLAND EMPIRE est un film aussi exigeant sur la forme que sur le fond : une DV crasse et granuleuse qui épouse les fantasmes retors de(s) l'héroïne(s), haine, sexe, amour, meurtre, gloire... La caméra bouge, s'approche aussi près des ténèbres que de la lumière, du sombre que du lumineux, pour arriver à la même conclusion : d'aussi près on n'y voit rien. Si INLAND EMPIRE parvient à faire sens, ce n'est qu'une fois contemplé tous ses tableaux, avec un peu de distance, le film continuant de se jouer longtemps dans notre cerveau.
Alors que le cinéma s'aseptise dangereusement, cadenassé par les producteurs et les projections test, réduit au rang de sympathique divertissement, Lynch ose un film codifié d'une indécente liberté, qui prend le risque de perdre ses spectateurs en route et de ne jamais revenir les chercher. Les autres seront déjà loin, tout au fond du terrier...
Un spectateur interrogeait : "Pourquoi y a des lapins ???". On ne peut plus rien faire pour lui.
Ce genre de critique me donne vraiment envie de voir ce film.