Misery de Rob Reiner
Stephen King n’a pas toujours eu le privilège de voir ses romans transposés avec réussite à l’écran. Bien que l’on puisse tout de même noter de franche réussite, les ratages sont légions et une fois par le serviteur lui-même. Misery affiche une histoire simple, si l’on regarde la longue liste des romans qu’à publier le maître de Bangor. Un tête à tête vicieux et éprouvant dans une maison repliée de la civilisation ou presque. Une confrontation dont l’enjeu n’est autre que la survie. Paul Sheldon est un écrivain à succès qui est entré dans le cercle privilégié des auteurs banquables non pas pour sa plume, mais pour avoir créer Misery, une histoire presque universelle dont il se sent désormais prit au piège. Enième réflexion de la part de King sur le métier d’écrivain, dont il ne cesse d’user pour illustrer ses héros. Après tout, et comme il le dit si bien : On écrit sur ce que l’on connaît le mieux.
Le métrage de Reiner ne perd pas de temps en formalité et attaque dans le vif du sujet. En quelques plans fixes, il parvient à retranscrire les habitudes, les tics d’un écrivain qui termine son dernier roman. Une séquence simple mais qui témoigne de l’aspect étrange qui entoure le romancier et son rapport à son environnement. Celui-ci a besoins de se sentir rassuré, volontairement superstitieux, il reproduit plus ou moins le schéma qui l’a accompagné lors de la rédaction de son premier roman. L’écrivain apparaît serein d’avoir apposé les derniers mots de son texte, mais un peu psychotique dans sa manière de procéder, et son absolu besoins que contrôler son environnement. Son premier, et non des moindres, cauchemar arrivera lorsqu’il perdra le contrôle de sa voiture sur une route enneigée sous les assauts d’une tempête.
Si le film fonctionne si bien, si l’adaptation semble aussi vivante, c’est avant tout l’œuvre des deux acteurs principaux. Ils campent à la perfection leur personnage, leur apportent toute la richesse qui les caractérise. En particulier Kathy Bates, qui retranscrit parfaitement l’ambiguïté de son caractère, capable d’allier une sérénité presque enfantine – qu’elle puise vraisemblablement dans la lecture des Misery – et une démence terrifiante. Son premier éclat quand elle reproche à Sheldon la présence des jurons est particulièrement représentatif de cette schizophrénie qui l’habite, ainsi que son éthique personnelle sur la justesse de sa conduite. Elle se veut chaste, respectueuse des règles, de la parole, elle est ordonnée, maniaque, comme le lui a sûrement appris son ancien métier d’infirmière. Elle est surtout froide, pouvant commettre les pires horreurs sans éprouver le moindre sentiment. Face à elle, James Caan incarne un romancier à la fois fragile, mais possédant une volonté de fer qui lui donne cette capacité à survivre, malgré la séquestration.
Rob Reiner illustre efficacement ce huit clos, multiplie les axes pour éviter d’essouffler sa réalisation. Il joue parfaitement du champ contrechamp pour imposer la différence et le conflit qui se déroulent entre Annie et Paul. Rarement sont ils tous les deux présents dans le même cadre. La lutte, le combat qui s’anime entre eux est sournois bien évidemment. Fait de coups bas, de tentatives et d’actes manqués. Le réalisateur s’accorde quelques espaces de respiration toutefois, en la présence du shérif Buster. Ces quelques escapades à l’extérieur apporte un nouveau souffle, une transition habile qui permet de replonger dans le cauchemar de l’écrivain avec un pincement au cœur.
Misery offre un duel mémorable entre deux acteurs. Deux caractères forts qui s’empoignent, qui se dressent l’un contre l’autre. Une réflexion également sur le fanatisme qui pousse à la folie une simple fan, ne supportant pas la direction prise par son écrivain préféré. King avait écrit ce roman en réponse au débordement dont il était régulièrement la victime, et dont une psychose s’était petit à petit formée. En effet, l’écrivain tentait une forme d’exorcisme en couchant sur le papier une peur qui le démangeait de plus en plus. Reiner transpose parfaitement l’horreur de la situation, développe avec brio l’intrigue. Il met en valeur la joute entre les deux acteurs, conçoit un métrage qui laisse exprimer toutes leurs qualités. Misery peut faire froid dans le dos, par le réalisme de son histoire, et certaines séquences nous font encore grincer les dents.