Je vous propose de lire et commenter si ça vous dit cet article paru dans L'express et relayé par yahoo news.
Le cinéma, la culture, subissent de plein fouet les conséquences de la crise. De quoi sacrifier beaucoup de talents pour encore un peu plus de daubes en perspective:
Pourquoi Hollywood tourne en boucle
Avec la crise, la capitale du 7e art a délaissé la qualité pour se concentrer sur les blockbusters. Si, artistiquement, le cinéma américain s'appauvrit, financièrement, il s'enrichit grâce à ces productions standardisées. Au moment où s'ouvre le Festival de Deauville, L'Express a mené l'enquête dans une usine à rêves en pleine mutation.
Hollywood, 2011. Plus que jamais, la capitale du cinéma domine le 7e art mondial. Harry Potter a enfin vaincu Voldemort et la terre entière applaudit, Angelina Jolie est ambassadrice du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et les magazines people s'en régalent, la Russie et la Chine ouvrent leurs marchés et les films américains s'installent en tête de gondole - en 2010, 67 % des recettes de l'industrie hollywoodienne ont été réalisées à l'étranger.
Cette suprématie est le fruit, encore et toujours, du fameux studio system, qui a vu le jour il y a près de cent ans. Mais c'est un système qui s'est profondément métamorphosé. Les studios appartiennent aujourd'hui à de gros consortiums et, pour eux, le film, simple produit de consommation, est l'équivalent d'une marque. La récente crise économique a intensifié cette vision purement commerciale du cinéma. Mis à part quelques longs-métrages de prestige destinés à gagner des oscars, Hollywood ne produit quasiment plus d'oeuvres pour le public adulte. A l'occasion du Festival du cinéma américain de Deauville (du 2 au 11 septembre), L'Express se pose donc des questions sur l'état d'un 7e art en pleine mutation. Et y répond.
1°) Quel est l'impact de la crise économique?
Il est important. Les studios ont longtemps financé leurs films avec l'argent de Wall Street et des banques étrangères, allemandes notamment. Hollywood vivait alors à crédit, n'utilisant ses fonds propres qu'à de rares occasions. Cet âge d'or s'est terminé avec le crash de 2008. Les studios ont dû mettre la main à la poche.
Parallèlement, le marché des DVD, source de revenus n° 1, s'est écroulé et le nombre d'entrées en salles a diminué - il diminue toujours, d'ailleurs. La crise a donc obligé les studios à mettre en place des mesures d'austérité : licenciements massifs, réduction des salaires et du nombre d'emplois contractuels (les scénaristes en ont le plus souffert) et coupes budgétaires spectaculaires - moins 400 millions de dollars à la 20th Century Fox, en 2009. "Il y a eu plus de changements ces dix-huit derniers mois que durant les dix-huit dernières années", déclarait alors Mark Gill, président d'une compagnie de financement, The Film Department.
Conséquence majeure : pour remonter la pente, les studios ont décidé de privilégier deux domaines, les tentpoles et le marché international. Un tentpole est une superproduction lancée comme un événement majeur et susceptible de se transformer en mine d'or. En dépit des dépenses (de 150 à 200 millions de dollars de budget minimum) et des risques d'échec, il est plus rentable, pour les studios, de monter de tels projets plutôt que de modestes productions. Quand ils marchent, ces mégafilms rapportent plus d'argent et plus vite. Surtout, ils engrangent des fortunes à l'étranger - souvent bien davantage qu'aux Etats-Unis. Les tentpoles ont aidé Hollywood à résister à la crise.
2°) Comment se porte le cinéma indépendant?
Mal. Les succès inattendus de Black Swan, de Darren Aronofsky, ou de Minuit à Paris, de Woody Allen, masquent la réalité d'un cinéma en proie à d'énormes difficultés, lui qui, dans les années 1990, offrait une belle alternative aux gros bras de Stallone et de Willis. La crise a laminé les circuits de distribution qui exploitaient ces "petits" films, les studios ont fermé presque toutes leurs branches "production indépendante", les banques et, surtout, les acheteurs étrangers, financiers potentiels, ont pris la poudre d'escampette.
Résultat : si des cinéastes obstinés parviennent, malgré tous les obstacles, à tourner en dehors du studio system, leurs films sont peu visibles. Qui a vu Gun Hill Road, de Rashaad Ernesto Green, All She Can, d'Amy Wendel, Here, de Braden King, The Ledge, de Matthew Chapman, ou Little Birds, d'Elgin James ? En France, personne. Aux Etats-Unis non plus. Ou seulement le public du Festival de Sundance, devenu radeau de la méduse dans un océan de pop-corn.
Cette situation soulève une nouvelle question : assiste-t-on à la disparition d'un cinéma adulte, seul capable d'interroger un pays lui aussi en pleine mutation ? Oui, puisque ces films-là servaient d'agitateur artistique et social. Mais aux Etats-Unis, plus qu'ailleurs, rien ne se perd et tout se transforme. C'est aujourd'hui à la télévision, entre Mad Men, Breaking Bad, Mildred Pierce ou Too Big to Fail, que l'on trouve les personnages et les thèmes absents au cinéma. C'est aussi sur le petit écran que le cinéma indépendant peut se faire voir.
3°) Y a-t-il une infantilisation générale?
Oui. Si les studios courtisent en priorité le marché international, ils ne veulent pas laisser filer un marché intérieur qui se détériore. Il faut donc appâter le spectateur. Comme 47% des Américains qui vont au cinéma ont moins de 25 ans, la guimauve et le bourre-pif sont de rigueur. Pour séduire une génération qui a biberonné aux jeux vidéo, les studios l'assomment à coups de références empruntées à la culture ado. Cela explique l'invasion de franchises fondées sur des bandes dessinées (six films cet été), des best-sellers pour la jeunesse (Harry Potter, Twilight...), des jeux de société (Battleship), des jouets (Transformers, GI Joe), ou des parcs d'attractions (Pirates des Caraïbes).
La nouvelle mode ? Remanier les contes : des frères Grimm à Charles Perrault, personne ne va y échapper. Deux projets Blanche-Neige sont annoncés, l'un avec Julia Roberts, l'autre avec Charlize Theron, mais également La Belle au bois dormant, Pinocchio, La Fée Clochette, Hansel et Gretel ou Cendrillon. Si une franchise commence à s'épuiser, on lance un reboot : même héros, mais style et acteurs différents. C'est le cas du prochain Spider-Man. Face à ces grosses machines à sous, l'animation, qui vise les plus petits, reste très populaire. La comédie aussi : plus elle pousse loin le bouchon, plus elle plaît aux 17-25 ans. Hollywood exploite donc le filon à fond. Des productions Judd Apatow (En cloque : mode d'emploi, Mes meilleures amies) à Very Bad Trip et ses avatars, tout est bon dans le cochon.
4°) Le star-système existe-t-il encore?
La question préoccupe tous les studios. Depuis 2008, plusieurs acteurs aux salaires importants, de Julia Roberts à John Travolta, en passant par Russell Crowe ou Tom Hanks, ont connu de gros échecs. Parallèlement, un grand nombre de films sans vedettes confirmées, tels Twilight ou Transformers, ont rencontré un succès phénoménal. Certains ont alors évoqué un déclin du star-système.
La réalité est complexe. Les stars en activité ayant été consacrées dans les années 1980-1990, leur âge les rend moins attrayantes pour le jeune public. Elles n'ont néanmoins pas été remplacées : Taylor Lautner, l'un des héros de Twilight, n'est pas (encore) Tom Cruise. Phénomène mondial mais sans doute plus exacerbé aux Etats-Unis : la télé-réalité a créé une flopée de célébrités présentes dans tous les médias. Le mythe n'existe plus. Pourquoi se déplacer en salles pour voir une "star" qui a déjà envahi le salon ?
Paradoxe encore : les vedettes du grand écran passent à la télé, de Glenn Close (Damages) à Kate Winslet (Mildred Pierce) ou Al Pacino (You Don't Know Jack). Angelina Jolie, Brad Pitt, Leonardo DiCaprio ou Johnny Depp ne sont pas façonnés par les studios comme au temps de Greta Garbo et Clark Gable, et ils se plantent régulièrement au box-office. Mais leurs choix, la manière dont ils gèrent leur image, et la perception que le public a d'eux, en font, malgré tout, des stars légitimes. Ils jouissent d'une plus grande célébrité à l'étranger qu'aux Etats-Unis. Ils sont les visages d'un cinéma américain qui a besoin d'eux.
5°) Qui détient le pouvoir?
Les studios. Peu de chose a changé dans ce domaine. Mais le grand public ignore les noms de ceux qui détiennent le pouvoir. Ces patrons font et défont Hollywood et reçoivent des salaires mirobolants (28 millions de dollars en 2010 pour Bob Iger, le président de Disney). Ensemble, ils forment un club très fermé qui permet aux studios de faire front en temps de crise. "Ils sont en concurrence dans les salles, mais ils se soutiennent les uns les autres dès qu'ils le peuvent", explique l'analyste Michael Cieply.
Personne n'est dupe : c'est interdit par la loi - "entente illégale" -, mais les studios s'entendraient en secret sur la politique économique à mener - réduction des coûts de marketing, refus des cachets extravagants... Michael Cieply évoque "une toile invisible de règles non écrites". Ce pouvoir n'a même pas été fragilisé au moment de l'acquisition de ces studios par des empires industriels. Tant qu'ils rapportent de l'argent, tout va bien. Le billet vert est la seule limite au pouvoir de ces dirigeants. Trop de flops, et hop, c'est la porte. Comme ce fut le cas pour Marc Shmuger à Universal, en 2009. Les studios ont l'obligation de produire des films à succès mais, pour y arriver, ils font ce qu'ils veulent entre eux.
Qu'en est-il des acteurs, des réalisateurs et des producteurs ? Leur pouvoir est réel, quand on s'appelle Steven Spielberg, incarnation du cinéma américain à lui tout seul, ou Johnny Depp, qui représente 7 milliards de dollars au box-office. Mais, là encore, il trouve ses limites dès qu'on parle argent. Plusieurs stars du métier ont vu leur projet retoqué : Jerry Bruckheimer avec The Lone Ranger, Brian Grazer et Ron Howard avec The Dark Tower, Peter Jackson avec une adaptation du jeu vidéo Halo.
Même Spielberg n'est pas à l'abri : en 2008, Universal disait non au Tintin qu'il voulait produire - depuis, le projet s'est monté chez Sony. Ce Secret de la Licorne, au budget estimé à 135 millions de dollars, sortira à la fin 2011 dans le monde (le 26 octobre, en France). Et réunit tous les ingrédients du Hollywood version 2011 : gros budget, film d'animation, réalisateur star, public jeune visé, possibilité de franchise (deux autres sont en préparation), conquête potentielle du marché international... Autant dire que ses résultats au box-office seront regardés à la loupe.